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Liaison royale

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CAROLLE ANNE DESSUREAULT

Je viens de voir le très beau film Liaison royale réalisé par Nikolaj Arcel qui relate une page importante de l’histoire danoise au XVIIIe siècle.

Les principaux personnages historiques mis en scène sont ceux de Caroline Mathilde de Hanovre, le roi Christian VII, et le médecin-physicien Johann Friedrich Struensee, comte Struensee, tous brillamment interprétés respectivement par Alicia Vikander, Mikkel Boe Folsgaard et l’éblouissant Mads Mikkelsen.

Une certaine lenteur dans le déroulement des scènes (ce n’est pas un film à la James Bond) mais qui correspond avec l’époque, une intrigue prenante et soutenue, des images et des costumes  magnifiques. Pourtant, il faut le mentionner, le plus grand mérite du film est de nous révéler une page historique méconnue du Danemark.

Liaison Royale est en nomination aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère.

Une royauté chancelante

Nous sommes à Copenhague, au Danemark, à l’automne 1766, au moment où le jeune roi de dix-sept ans, Christian VII, s’apprête à rencontrer sa future épouse venue de l’Angleterre, la princesse Caroline Mathilde de Hanovre, âgée seulement de quinze ans. On la dit simple, aimable, intelligente, cultivée et très vive.

La pauvre, elle sera vite déçue par l’homme et le mariage. Christian VII est un personnage bizarre qui valse entre la médiocrité, la vulgarité, la folie, la débauche, la cruauté et un ennui morbide. Il se montre dès le départ très irrespectueux envers elle. Il n’hésite pas à l’insulter devant tout le monde un soir qu’elle interprète une musique classique au piano. Ce genre de musique l’ennuie, il lui interdit de recommencer.

S’il se rend à la chambre nuptiale au début du mariage, c’est uniquement sur les instances de son conseiller pour y faire son devoir d’époux et de géniteur d’un digne descendant de sa lignée. Il s’y rend avec nonchalance, en traînant les pieds. Caroline Mathilde ne sera pas une femme comblée par la passion.

Bref, très rapidement, la relation se détériore jusqu’à n’être presque rien. Chrisitan VII la délaisse et retourne à sa vie de débauche. L’année suivante, il décide sur un coup de tête d’entreprendre un voyage d’une année pour visiter l’Europe et les autres grands de ce monde. Une importante délégation se met rapidement en place, y compris le comte Bernstorff qui détient le véritable pouvoir. Pour l’occasion, on remplace le médecin royal qui commence à être trop âgé pour faire le voyage par le comte Johann Friedrich Struensee, médecin-physicien qui assurera une assistance médicale auprès du roi.

Struensee est un personnage fort intéressant. Inspiré par les philosophes des Lumières, dont Voltaire, Rousseau et le Norvégien Ludvig Holberg, il souhaite secrètement des changements sociaux profonds pour le Danemark qui vit encore dans la rigidité et une ignorance crasse où l’esclavage, la torture, la famine existent et sont considérés comme normaux.

Le comte Struensee aura une influence énorme sur le jeune roi. De retour au Danemark en 1769, lorsque Christian réintègre son royaume, il nomme officiellement Struensee son médecin personnel et lui alloue un «salaire» annuel de 1 000 rixdales, le double de ce qu’il recevait au cours du voyage. Mentionnons, pour se faire une idée des écarts entre les revenus de ceux qui tournent autour de la royauté et les autres, Struensee gagnait seulement 70 rixdales en 1758 lorsqu’il fut embauché comme médecin municipal à Altona, ville proche de Hambourg. Ses repas n’étaient pas payés.

Donc, les deux hommes deviennent inséparables, disons plutôt que Nicolas VII ne peut plus se passer de l’intelligence, de la beauté et du charisme de son médecin personnel qu’il traîne avec lui partout où il va. Mais Struensee n’est pas homme à se satisfaire d’un rôle de bouffon pour divertir un désaxé. Pourtant, il a des sentiments qu’on pourrait considérer sincères pour le roi, une sorte de compassion, ou peut-être est-il simplement touché par tant d’amour à son égard?  Car le roi nourrit pour lui une grande affection, et il le lui avoue, lui donne toute sa confiance, car il sait au fond de son cœur qu’il ne sera pas trahi par lui. Struensee sourit et acquiesce. Et pense beaucoup.

La montée du comte Struensee au pouvoir

Struensee, homme ambitieux, mais doté d’un esprit fin, a l’art de faire sortir Christian de sa folie ou de son ennui morbide pour l’amener à penser différemment. Il va le stimuler à s’impliquer dans les affaires de l’État. Jusqu’à maintenant, le roi assiste aux réunions du cabinet royal, mais ne fait qu’apposer sa signature au bas des instructions que le comte Bernstorff lui recommande. On lui pose les questions stratégiques nécessaires à son approbation, mais comme Christian n’y connaît rien et qu’il est lent à penser, il a encore la bouche ouverte quand on lui souffle les réponses. Chaque membre du cabinet s’entend pour interpréter son mutisme un oui consentant.

Struensee va bouleverser cette dynamique. Au jeune roi qui est désabusé et que les affaires ennuient, il aiguise son intérêt en lui recommandant de se comporter avec les membres du cabinet royal comme il le fait quand il s’amuse. Comment? Mais en jouant, car il aime le jeu, Christian VII.

Commence alors une mascarade où Christian ne veut plus manquer les réunions. Au préalable, il apprend par cœur toutes les répliques que lui apprend Struensee sur les divers dossiers de l’État – le roi a une mémoire phénoménale – et chaque matin, il veut se lever, se rendre à une réunion, s’il n’y en a pas, il faut en tenir une, il veut jouer la comédie, ce qui le rend heureux. Il avouera plus tard à Johann Struensee que ce furent les plus beaux jours de sa vie, les seuls où il fut heureux.

Le triangle qui mènera à la tragédie

On s’en doute,  Struensee s’infiltre dans la hiérarchie du pouvoir, mais avant, passons à l’épisode du triangle qui sera formé entre la reine, le roi et le comte. Au cours de quelques réceptions, Struensee a pu échanger quelques mots avec Caroline Mathilde qu’il trouve raffinée et brillante. Un lien s’établit entre eux. Pour la reine, c’est un appui aussi nécessaire que de respirer, surtout depuis que le roi a expulsé de la cour en 1768 Louise von Plessen, sa seule et fidèle confidente. Les deux êtres sont attirés l’un vers l’autre. Ils deviennent amants. Hélas, la reine tombe enceinte.

Plutôt manipulateur, Struensee encourage le roi à réintégrer la chambre nuptiale pour soigner son image de roi qui est critiquée à ce sujet et l’encourage à traiter la reine avec davantage de déférence à l’avenir, ce qui ne saurait déplaire à  ses ennemis. Le roi fut conquis. Aussitôt dit, aussitôt fait.

Évidemment, l’idylle renouée entre Christian VII et son épouse ne durera pas. Celle-ci lui fermera la porte de sa chambre au bout de quelques semaines pour cause de grossesse. Le roi est très heureux d’apprendre qu’il a une fois de plus réussi à engendrer un enfant grâce à sa semence. Une fois de plus, car la reine a mis au monde un prince héritier en 1768, nommé Frédéric, qui deviendra plus tard Frédéric VI de Danemark et de Norvège.

Dorénavant, la reine sera plus présente à la cour, invitée à des cercles intimes et Christian VII lui manifestera une certaine affection, toute maternelle d’ailleurs, et il l’appellera «maman.»

En 1769, Struensee est nommé conseiller d’État, un pas de plus dans l’ordre hiérarchique du royaume. Puis, au début de 1770, il est nommé secrétaire du cabinet de la reine Caroline Mathilde et lecteur du roi Christian VII. Le triangle se resserre.

Johann Friedrich Struensee parvient à réintégrer à la cour Enevold Brandt qui avait été démis de ses fonctions en 1768 pour avoir critiqué l’influence néfaste qu’avait sur le roi son compagnon d’ivrognerie, le comte Frederik Vilhelm Conrad Holck. Struensee conçoit le projet d’en faire le nouveau favori du roi. Avec l’appui de la reine, il parvient à évincer Holck au profit de Brandt.

La grosse pièce nuisible restait le comte Bernstorff car en tant que ministre des affaires étrangères – l’équivalent de la fonction de président de la chancellerie allemande – il représentait la charge la plus éminente au sein du gouvernement danois. Un incident aide Struensee à réaliser son plan : la déroute complète de la flottille de guerre que Bernstorff a envoyée pour punir les pirates algériens qui avaient attaqué en Méditerranée des navires de commerce européens, et danois.

Peu à peu, le comte Struensee place au conseil privé formé essentiellement d’aristocrates allemands ses propres pions. Les choses n’allant pas assez vite, il fait voter (par le roi bien sûr) la dissolution du Conseil privé et se fait nommer «maître des requêtes.» Cette position le rend responsable de transmettre au roi les demandes qui lui sont adressées, il n’a qu’à demander au roi de signer. Quand il s’agit de Struensee, le roi s’exécute en toute confiance. Struensee en vient à exercer un pouvoir absolu. Il en profite pour mettre à la porte beaucoup de nobles.

Il nomme un diplomate danois au poste de ministre des affaires étrangères, Von der Osten, mais voilà, il prend la dispositions nécessaires pour modifier sa fonction afin qu’on lui soumette tout dossier relevant de la politique extérieure. Ce qui déplaît fortement au nouveau ministre.

Les réformes

L’année suivante, autour du printemps 1771, il nomme son frère Carl August Struensee à la tête du collège des finances. Son intention est de centraliser l’administration financière et de séparer le budget de l’État de la caisse du souverain. Struensee en profite pour se nommer ministre du cabinet privé. À partir de ce moment, il a le pouvoir d’édicter de sa propre main des ordres de cabinet et qui ont la même valeur que s’ils sont signés par le roi.

En juillet 1771, la reine donne naissance à une fille, la princesse Louise Augusta de Danemark. Le roi reconnaît officiellement sa paternité. Mais bien des rumeurs circulent sur le véritable nom du père qui serait Struensee.

Struensee instaure des réformes justes, favorables au peuple, bonnes pour le bien de l’ensemble. Nommons-en quelques-unes :

  • embauche dans la fonction publique sur la seule base des compétences
  • réduction de l’influence des grands propriétaires terriens
  • amélioration du réseau scolaire et du système de soins de santé
  • suppression de la peine de mort pour vol
  • abolition de l’usage de la torture pour obtenir les aveux des suspects
  • suppression des amendes pour les grossesses extraconjugales
  • arrêt du chantier de l’église de Frédéric, dite l’«église de marbre», entamée par Frédéric V
  • création d’une loterie (bénéfices qui alimentaient les caisses de l’État)
  • ordonnance que toutes les maisons des grandes villes du royaume soient pourvues d’un numéro, apposé à la peinture
  • publication d’une ordonnance sur les corvées, et fixation des prestations que les propriétaires fonciers pouvaient exiger de leurs fermiers
  • première vaccination contre la variole, effectuée sur le prince en 1770
  • abolition de la censure et instauration de la liberté de presse sans restriction aucune

Hélas ce dernier décret se retourne contre lui. Une foule de libelles paraissent qui le visent en particulier et sa relation avec la reine. Des caricatures de leurs ébats dans le dos du roi sont affichées sur les murs. Il tente de limiter les dégâts, publie un autre décret pour restreindre la liberté absolue de publication, mais il est trop tard.

L’éducation du prince héritier Frédéric

Struensee s’implique aussi dans l’éducation du prince héritier Frédéric et met en œuvre une démarche pédagogique prônée par Jean-Jacques Rousseau (de l’Émile). Pour assurer l’autonomie du jeune prince, pas de précepteur pour son éducation. Au contraire, on lui trouve deux jeunes paysans de son âge et un chien comme compagnie. L’enfant vit à l’écart des adultes. Et des dangers.

On peut plaindre l’enfance du jeune prince. Un jour qu’il se montre effrayé par des escaliers, on lui en édifie une petite réplique au milieu d’une pièce et ses repas lui sont servis en haut des marches. Au début, il se déplace librement dans les jardins du château, mais le jour où il tombe dans l’étang du parc, on installe une clôture pour limiter ses déplacements. Parce que Struensee croit dans la magie des bains froids, l’enfant en prend, même en hiver. Il va et vient sans chaussettes, sans chaussures, il contracte des engelures. Alors, on lui donne des bas de laine.

Un pas de trop …

Le licenciement de la garde nationale par Struensee fait déborder le vase. Les soldats de la garde se rendent au château Frederiksberg pour demander au roi de surseoir à la dissolution de leurs unités. Struensee va au devant d’eux et réussit à les calmer. Mais le licenciement de la garde se fait tout de même. Dès lors, un puissant mouvement d’opposants va s’acharner à monter un complot contre le comte.

Un complot contre le comte Struensee

Pour l’atteindre, ses adversaires font courir le bruit que le comte Struensee projette un coup d’État, pas moins que de forcer le roi à abdiquer pour s’installer lui-même sur le trône et épouser la reine. On met le roi au courant qui tombe dans une rage folle.

Évidemment, c’est une rumeur sans fondement, mais elle est la source du coup d’État projeté. Dans la nuit du 16 au 17 janvier 1772, sous les ordres de la belle-mère de Christian VII, la reine douairière, qui complote contre Christian depuis des années et qui détient des mandats signés, le colonel Köller et ses aides arrête le comte Struensee, le comte Enevold Brandt. La reine Caroline Mathilde et quelques hauts responsables gouvernementaux sont emmenés.

On conduit la reine au château de Kronborg, à Elseneur, en résidence surveillée. Quant à Brandt et à Struensee, leur sort est plus cruel : on les emprisonne dans des cachots de la citadelle. Un mois plus tard, Struensee répond à un interrogatoire. Quand la question sur la nature de ses relations avec la reine surgit, il se fait larmoyant, ce qui fait foi d’aveux pour les membres de l’interrogatoire.

Certains avancent que Struensee a subi la torture. Quoi qu’il en soit, l’arrêt de mort signé par Christian VII le condamne à la décapitation devant public. Avant de le décapiter, le bourreau lui tranche la main droite, histoire de ne pas mettre sa main où il n’avait pas d’affaire. Triste fin.

Conclusion

Toutes les réformes apportées par Struensee furent défaites. On retourna à la case initiale, dans le même état ténébreux qu’avant son arrivée.

Beaucoup plus tard, en 1784, lorsque le prince Frédéric atteint sa majorité, il se proclame régent par un coup d’état, renverse le pouvoir de son demi-oncle et de la belle-mère de Christian VII, et gouverne le pays au nom de son père. Il va mener quelques réformes libérales dont l’abolition du servage dans la même lignée de pensée que Struensee. En vieillissant, il se transforme en autocrate, ne tolère aucune opposition, et rétablit la censure!

La santé du roi Christian VII depuis la mort de Struensee s’est aggravée. Il sombre dans des crises de paranoïa, d’automutilation et d’hallucinations. Il s’éteint en 1808.

Quant à la reine Caroline Mathilde, elle passe les trois dernières années de sa vie auprès de son ancienne dame d’honneur, la comtesse von Plessen. Elle meurt en 1775, trois ans après la mort de Struensee.

Carolle Anne Dessureault


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